Homo Nationalus ?
Terrorist Assemblages : Homonationalism in Queer Times », l’étude de l’américaine Jasbir K. Puar, partiellement traduite en français sous le titre « Homonationalisme : Politiques Queers après le 11 septembre », fera l’effet d’une bombe à sa publication, lançant un débat neuf et délicat, mais sans doute salutaire, et popularisant un nouveau terme qui fait depuis timidement son entrée en Europe.
La théoricienne queer y diagnostique un malaise majeur : la valorisation d’une minorité blanche et bourgeoise au sein de la communauté lesbienne, bisexuelle, gay et trans* au détriment des autres « membres » de ladite communauté.
L’émancipation des LGBTQI profite-elle à tous ou uniquement à quelques privilégié.e.s ?
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Des traces d’homonationalisme pourraient se manifester chez nous par une opposition médiatique presque systématique entre « l’homo » et « l’immigré ».
Le premier, serait caricaturalement homme, blanc, riche, athée, urbain mais pas banlieusard, consumériste et libertin et surtout pas bisexuel. Le second serait rétrograde, bronzé, de préférence musulman, pauvre et envieux, volontiers violent et foncièrement homophobe…
Mais a-t-on raison de parler d’une homophobie importée de l’étranger et les LGBTQI sont-ils plus racistes que les autres de peur de perdre les acquis sociaux qu’ils/elles ont arrachés de haute lutte ?
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Les travaux de l’auteur palestinien Joseph A. Massaad, notamment dans Desiring Arabs vont encore plus loin. Il y décortique « l’impérialisme sexuel », une forme d’ethnocentrisme occidental dans le soutien apporté aux populations LGBTQI de par le monde. Ainsi, les valeurs libérales et démocratiques du Vieux Continent, et de son allié américain, seraient les seules valables, les seules solutions envisageables pour sortir de leur calvaire les homosexuel.le.s persécuté.e.s en Afrique, au Moyen-Orient, en Europe de l’Est ou ailleurs, dans leur univers considéré comme archaïque et liberticide.
L’on serait donc face à un néocolonialisme teinté de rose et à une présentation binaire du monde, entre les gentils « pros » et les méchants « antis », une manière inédite d’interroger les relations Nord-Sud à travers un prisme nouveau : celui de l’orientation sexuelle.
Après tout, l’on est en droit de se demander si les concepts même d’homosexualité, d’hétérosexualité ou de transidentité, comme nous les entendons, sont universels et si l’application des techniques d’émancipation et d’obtention de droits qui ont, en partie, fait leurs preuves chez nous, sont recyclables ailleurs, tout en n’acceptant jamais que l’on tue, que l’on emprisonne ou que l’on moleste pour le simple fait d’être né différent.
La figure de l’homosexuel devient-elle un outil stratégique qui mènerait à des politiques de Pink Washing ou, au contraire de Gay Bashing ?
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Et puis il y a l’extrême-droite européenne de plus en plus « gay-friendly », surtout lorsqu’il s’agit de discriminer « l’étranger symbolique ». La dichotomie gauche/droite a-t-elle ici encore du sens et la gauche a-t-elle finalement l’apanage du progrès social ?
Pendant des années les associations défendant les « minorités sexuelles » défilaient, bras dessus bras dessous, avec les groupes antiracistes. Le racisme, le sexisme, l’homophobie et la transphobie (et leurs petits frères) étaient alors les enfants immondes des mêmes salauds de parents. Il y a quelques décennies nous dérivions dans le même bateau, mais aujourd’hui boit-on réellement la même tasse ?
Comment faire pour que les luttes convergent, pour que chaque minorité discriminée voie en l’autre un soutien plutôt qu’un adversaire ?
Militants, universitaires, artistes, un panel de grande qualité sera présent pour échanger avec le public son expérience et son expertise et proposer une remise en question difficile, encore jamais abordée en Belgique dans une conférence de ce type.